L’an passé, lorsque j’effectuais des visites à domicile dans les familles ayant un enfant autiste, dans le cadre de mon projet de mémoire (en association avec la Fondation Mira), j’ai été confronté à tous les préjugés dont doivent faire face ces familles. Et à toutes les portes fermées qu’ils ont mangées en pleine gueule, aussi.
J’ai vu (mais surtout entendu) des familles qui ont été rejetées de leurs familles d’origine parce qu’ils ont eu le malheur de mettre un enfant pas comme les autres au monde. Des grands-parents mal à l’aise devant la réalité de leurs enfants et petits-enfants. Des oncles et des tantes qui n’acceptent pas que la famille viennent les visiter, car le « p’tit est trop de troubles ». Des petits-cousins qui connaissent ça, eux-autres, l’autisme. « T’as rien que à lui dire non à ton enfant, pis à le mettre dans sa chambre : m’as te dire qu’y va arrêter d’en faire des crises ».
J’ai écouté une maman butée à des CPE qui refusent qu’elle y inscrive son garçon autiste. « Mais on peut prendre ta fille, par exemple ». Et qui a appelé je ne sais où, au gouvernement, pour dénoncer cette injustice, cette infamie, cette discrimination. Et le gouvernement, de lui répondre que ces éducatrices ont le droit, de refuser de prendre son p’tit. Parce qu’elles peuvent sélectionner les enfants qui feront partie de leurs belles petites garderies. Et alors, cette maman de répondre : « Ok, ben moi, j’vais me partir un CPE, mais juste pour les enfants autistes! ». Et le monsieur du gouvernement de dire : « Ben non madame, ça serait de la discrimination pour tous les enfants non autistes ». Alors la maman de rétorquer : « Ok alors, je vais afficher mon CPE comme étant ouvert à tous, mais au moment de la sélectionner, je ne vais que garder les enfants autistes ». Et le monsieur de dire : « Eh bien ça, oui, vous avez le droit ». Parce que c’est ce que font les autres garderies pour les enfants non autistes, non différents, conformes à l’idée qu’on se fait d’un enfant.
Et bien avant de faire une collecte de données pour mon mémoire et donc, de rencontrer ces familles, j’ai été éducatrice au sein d’un organisme communautaire desservant, entre autres, une clientèle autiste (Bonjour, APEDRSM!). Mes collègues et moi, on faisait des activités avec ces enfants. On prenait le bus de la ville, on allait nager à la piscine, cueillir des pommes, glisser sur les pentes enneigées, et j’en passe.
Et je me rappellerai toujours de ces personnes qui, dans l’autobus, critiquaient un de nos jeunes « mal élevé » sous prétexte qu’il criait, alors qu’il testait sa voix, en faisant des sons plus ou moins aigus. Et de ces personnes, qui refusaient de libérer l’espace pour que nous puissions sortir du bus avec nos jeunes, en disant clairement « Ben non, on n’est pas de la glace, on va pas fondre, pis on se tassera pas. ». Parce qu’elles devaient trouver qu’on prenait trop de place, puisqu’il fallait être tout juste à côté de certains enfants (et adolescents) pour leur tenir la main, car ils avaient peur du bruit, de la porte de l’autobus qui s’ouvre et du grand pas à franchir entre l’intérieur du bus et l’extérieur.
Et je me rappellerai toujours de ces deux hommes qui jouaient au billard, dans la salle au-dessus de la piscine de la ville, où on installait nos jeunes après la baignade pour prendre la collation, en attendant que leurs parents viennent les chercher. Un des jeunes regardait avec intérêt la table de billard. Comprenant qu’il trouvait cela stimulant de regarder les boules qui roulent, je l’ai laissé regardé, de loin, en lui tenant la main, pour éviter qu’il se mette à courir et qu’il dérange le jeu. Eh bien, ma poigne ne devait pas être assez solide, car il a réussi à me lâcher la main pour aller se coller contre la table de billard. Et les deux hommes de chiâler des mots incompréhensibles qui ressemblaient à « Hé ho ha hi hu! ». Et moi, d’aller chercher mon jeune, de m’excuser auprès des messieurs et de me diriger plus loin avec l’enfant. Mais lui, il avait envie de regarder les boules tourner! Alors il est retourné dans la direction de la table de billard et comble du malheur, a toucher un boule et l’a fait tourner. Alors là, on a eu droit à bien plus que des « Hé ho ha hi hu! ». Et même qu’un petit monsieur a levé la main vers le jeune en question. Alors, je me suis mis entre les deux, et ait crié au petit monsieur « Hey, il a pas fait exprès; il est autiste, cet enfant. Il voulait juste regarder les boules rouler! Fait que calme-toi les nerfs! ». Bon. Ce n’était pas suuuuper adéquat de ma part. Mais j’étais en colère. Et ce n’est que des années plus tard que je réalise que, ces petits messieurs, comme ces petites personnes de l’autobus, ils ne savent pas. Ils ne connaissent pas. Ils ne comprennent pas. Parce qu’il n’est pas écrit dans la face de ces enfants qu’ils sont autistes. Même que la très grande majorité d’entre eux sont excessivement beaux et ont l’air excessivement normaux.
Et que tous, tout le monde, de toute la terre entière, incluant vous et moi, on fait tous ça : on classe dans des catégories l’information à laquelle on est exposé. C’est comme ça. Pour comprendre. Pour organiser l’information. Pour structurer notre environnement. Pour nous créer un semblant de contrôler. C’est normal. Et que, au lieu de crier sur ces messieurs, j’aurais pu leur expliquer calmement la situation. Et que, au-delà d’expliquer à chaque personne, nous avons grand besoin de faire connaître cette situation (l’autisme) à plus grande échelle. Parce que c’est une réalité pour tous : chaque fois que je parle à quelqu’un, il connait ou a été en contact avec une personne autiste. Sans trop savoir ce que c’était. Sans trop comprendre ce que ça mangeait en hiver, ou en été.
Alors, si on prenait le temps d’expliquer à ces familles d’origine ce que c’est l’autisme, ce que ça implique, peut-être qu’il y en aurait moins qui couperaient les ponts avec des membres de leur famille.
Et si on prenait le temps d’expliquer aux éducatrices en CPE que l’enfant autiste ne mangera pas les autres, que ce n’est pas contagieux, qu’il y a une belle enveloppe budgétaire qui vient avec pour lui permettre un encadrement plus adapté, peut-être qu’il y aurait moins de discrimination ou du moins, de résistance à accepter un enfant autiste.
Et si on prenait le temps d’expliquer aux p’tites personnes dans l’autobus que ces enfants, ils ne crient pas parce qu’ils sont malpolis. Et qu’ils ne prennent pas de place pour « faire chier », mais parce qu’ils manquent parfois d’équilibre, qu’ils ont peur, qu’ils ont besoin d’aide pour accomplir des petites choses, peut-être qu’elles se seraient tassées pour les laisser passer.
Mais pour ce faire, il faut que les gens travaillent de paire, qu’ils se concertent, qu’ils acceptent de prendre le temps d’expliquer, pour que les autres puissent comprendre…ça vous dit?
-Stéphanie Deslauriers