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Le Mal Invisible

Lettre à Karina Marceau, réalisatrice du documentaire “Dictature affective”, qui sera diffusé le 3 décembre prochain à 21h sur les ondes de Télé-Québec.

Bonsoir, Karina.

On s’est rencontrées le mois passé à l’occasion du tournage d’une émission de “Parent un jour, parent toujours” portant sur le sommeil.

J’avais alors, au courant de la semaine précédente, visionné ton documentaire « Seins à louer » et avait été inspirée par ta capacité et ta facilité, il me semble, à aborder des sujets aussi délicats.

Quelle ne fût pas ma surprise, cet après-midi, alors que je feuilletais innocemment mon exemplaire de Châtelaine du Temps des Fêtes d’apercevoir un article à propos…d’un de tes documentaires. “Dictature affective”. Je suis restée bouche bée.

L’agression psychologique est le sujet que j’ai, et de loin, le plus souvent et le plus intensément abordé au cours de mon bacc et de ma maîtrise. Quasi tous mes travaux de session ont porté sur ce sujet. Toutes mes recherches sur le serveur de l’Université de Montréal puis de l’Université de Sherbrooke aboutissaient à des articles, des auteurs, des chercheurs, des professeurs ayant étudié ce sujet invisible qui laisse cependant les traces les plus profondes.

Je me rappelle de ce documentaire où une dame témoignait de la violence dont elle avait été victime lorsqu’elle était enfant. Ce dont elle se rappelait davantage, c’étaient les insultes que son père qu’il lui proférait tout en lui assénant un coup. Le simple coup sous-entendait que son père ne l’aimait pas. Lorsqu’il le lui disait clairement, il n’y avait pas place à interprétation.

J’ai travaillé en Centre Jeunesse, aussi. Aucun des enfants placés ne l’était pour cause de violence psychologique, vous vous imaginez bien. Pourtant, depuis quelques années, il s’agit d’un motif de signalement. De mon côté, en tant que psychoéducatrice en milieu scolaire et en milieu familial, aucun de mes signalements pour cause de violence psychologique n’a été retenu. Même si les études prouvent que c’est le type de violence qui fait le plus mal. Qui laisse le plus de traces. Qui affecte le plus le développement; cognitif, affectif, relationnel. Qui a des effets à très longs termes, surtout observables à l’âge adulte. Un mal invisible. « Cet enfant mange, il a un toit sur la tête, n’est pas en situation de danger physique. Désolée, madame, on ne peut retenir le signalement ».

À quand une cohérence entre la loi et l’application de cette loi?

Enfin, la violence psychologique est perverse. Elle est insidieuse, sournoise. Elle ne se voit pas, bien qu’elle s’entende. « Les paroles s’envolent », à ce qu’on dit. Les paroles s’imprègnent, plutôt.

L’aliénation parentale, qui est une des formes de la violence psychologique, place l’enfant, bien malgré lui, dans un triangle des Bermudes où il ne peut que périr. L’enfant intègre la dichotomie. Il grandira et comprendra bien vite que rien n’est tout blanc, rien n’est tout noir. Mais en attendant, il ne saura à qui se fier. À ses impressions? À son ressenti? Aux paroles de sa mère? À celles de son père? Pourquoi les parents mentiraient-ils à leurs enfants? S’ils le disent, c’est ce que ça doit être vrai…

Et on entraine l’enfant dans un torrent de messages contradictoires.

Aucune psychoéducatrice ne l’est sans raison valable. La mienne? L’abus psychologique.

Merci de faire connaitre ce mal invisible. Merci de rendre accessible ce type de sujets. Merci pour ta sensibilité. Pour la diffusion que tu en fais, aussi. Merci de potentiellement éviter à certains enfants qui deviendront adultes de devoir justifier que ça existe pour vrai, la violence psychologique. Et que ça fait mal pour vrai, même si ça demeure intangible.

Merci de la rendre tangible.

-Stéphanie Deslauriers