J’arrive sur Ste-Catherine, devant le Cacao 70. On doit se rencontrer là, Samuel et moi. Avant d’ouvrir la porte, j’aperçois les images du menu, toutes plus alléchantes les unes que les autres : crêpe nappée de chocolat, agrémentée de marshmallows, fondue au chocolat au lait, chocolat chaud au chocolat au lait, chocolat noir, chocolat à la menthe et j’en passe.
« Ouais, on va bien s’entendre, lui et moi ». J’ouvre la porte : je suis immédiatement enveloppée d’une odeur enivrante de chocolat. Je suis au paradis.
Je m’installe puis, je le vois arriver, ce grand gaillard de 6 pieds 4, élancé, stylé et bouclé. « Ce gars-là se fait confiance, ça saute aux yeux ». De par sa démarche assurée, son pas assumé, son port de tête fier.
D’ailleurs, il m’avoue qu’il passe parfois pour un être imbu de lui-même, qui a « trop » confiance en lui. Mais il n’en est rien. « Autant j’arrive à élever les autres, à voir le beau en eux, autant j’en suis capable envers moi également ».
Il se dit difficile. « Ça a l’air prétentieux, mais je sais ce que je vaux et ce que je veux ». Mais c’est probablement ainsi qu’il arrive à dénicher des perles rares et de s’en entourer.
Ce qui m’a amené à proposer à Samuel de le rencontrer, c’est suite à un entretien téléphonique pour un article publié dans le Huffington Post, à propos de mon roman, L’Éphémère.
J’avais tout de suite aimé sa voix grave, son ton posé, son vocabulaire soigné et surtout, ses questions songées et recherchées. Un vrai de vrai journaliste, talentueux. Un vrai de vrai être humain, sensible. Intelligent, vif d’esprit et ayant la capacité de lire entre les lignes, de voir au-delà du tangible et de l’observable.
Puis, après quelques échanges sur le web, constatant son ouverture, quelques ressemblances entre lui et moi, je lui ai demandé s’il accepterait de me rencontrer pour répondre à quelques questions portant sur l’homosexualité. Il a acquiescé immédiatement.
D’ailleurs, en commençant à discuter au Cacao70, Samuel me demande si je dois prendre des notes ou enregistrer. Je lui réponds par la négative. « Tu vas te rappeler de tout ça? Et de mon vocabulaire coloré? ». Merde. J’avais oublié que je faisais affaire avec un journaliste. « Heu, non, non, je m’imprègne de toi, de ce que tu dégages. Ça va me suffire ».
Samuel se décrit comme étant observateur, tant chez lui que chez les autres. C’est ce qui l’a mené, plus jeune, à se poser sans cesses de questions (et parfois, peut-être pas les bonnes?). Aujourd’hui, il se pose beaucoup moins de questions. Ou du moins, il accepte de ne pas avoir toutes les réponses, puisqu’il a confiance en lui, puis en la vie qu’une fois le temps venu, les réponses viendront.
Cette confiance, il se l’est bâtie au fil du temps, au fil des expériences.
À 12 ans, il commençait à observer son attirance envers les garçons. Ceux de sa classe, ceux du catalogue Sears. Il rit en ajoutant : « Il n’y avait pas d’internet, dans ce temps-là! ».
À 13 et 14 ans, il commençait à conceptualiser davantage son attirance pour les garçons : « Mais je ne voulais pas être attiré par eux! Pas dans une société hétéronormative, et encore moins à Amos où je n’avais accès à aucun modèle gai ». En secondaire deux, il a déclaré sa flamme à une jeune fille, qui n’éprouvait pas les mêmes sentiments à son égard.
À 16 ans, il a ressenti la même flamme pour une autre fille. Et il s’était dit : « Si ce n’est pas réciproque, j’arrête ça là et j’accepte que ça ne marche pas pour moi, les filles ». Elle décline son offre de former un couple. Bon. Ça y est. Il doit se rendre à l’évidence.
Mais comment pouvait-il ressentir de l’attirance pour une fille alors qu’il était gai? « J’étais attiré par la personne, par ce qu’elle dégageait. J’ai mépris ça pour de l’attirance amoureuse et au fond de moi, j’avais envie d’être hétéro ». Pas question de sortir du placard avant de quitter Amos pour le cégep de Jonquière! Il calcule qu’il en parlera trois semaines avant son départ, prévu pour la mi-août. « Je pensais que trois semaines, c’était suffisant pour laisser retomber la poussière avant mon départ, si jamais ça tournait mal ».
Malgré la peur et l’appréhension, il a eu LA discussion avec ses parents. Pas de remous. Sa mère se disait qu’il y avait 50% des probabilités que son fils soit gai et 50% qu’il soit hétéro, avant que Samuel aborde le sujet avec elle. Son père? Il a pris deux jours pour digérer la nouvelle puis, il a accepté cette réalité nouvelle pour lui, plus ancienne pour son fils.
À Jonquière, Samuel a rapidement fait son coming out durant un exposé oral : « Je voyais les mâchoires des étudiants tomber pendant que je parlais », se rappelle-t-il. Puis, il a ressenti une grande acceptation…de lui-même et des autres. Enfin, il pouvait s’assumer dans son entièreté.
C’est à partir de ce moment qu’il a commencé à mieux se sentir dans son corps, dans sa tête. Parce qu’il était en cohérence avec lui-même.
D’ailleurs, je remarque un certain détachement d’avec l’enfant et l’adolescent rondouillard qu’il a été. « Regarde comme j’étais pas beau! », me dit-il en me montrant une photo de lui. Autant maintenant il arrive à se parler avec tendresse, autant il est dur avec ce qu’il a été. Comme s’il y avait avant le coming out et après. Probablement qu’il y a effectivement un avant et un après.
Et ses amis? « La majorité de mes amis gars sont gais, la plupart de mes amies filles aussi mais certaines sont hétéros ». « Pas de chum de gars hétéro? ». « J’ai moins d’affinités avec eux. Mais je me rappelle d’un gars au cégep, hétéro, qui m’avait fait un câlin après lui avoir confié que ça n’allait pas. ». Mais ce ne sont pas tous les gars hétéros qui ont cette ouverture, constate-t-il.
Et ce ne sont pas tous les quartiers de Montréal qui sont acceptants vis-à-vis des gais : « À Hochelaga, tu te contrôles. Même chose à Outremont! Mais dans Villeray, le Village, le Plateau, Mile End. À Verdun, je sais pas : j’y vais pas pis j’trouve pas ça très beau! (Rires) ».
Encore aujourd’hui, il perçoit des regards, entend des commentaires quasi-chuchotés, juste assez fort pour qu’il entende. « Ça me fait encore un p’tit quelque chose, mais c’est moins pire qu’avant ».
Parce que « avant », au secondaire, hors de question qu’il s’affiche ouvertement. « Un gars était très efféminé et il se faisait niaiser…ouf. Moi, j’étais très apprécié de plusieurs et plusieurs autres me niaisaient…mais jamais en pleine face. Tu sais, l’adolescence… ».
« Dans tous les commentaires homophobes, il y a du sexisme », déplore-t-il. Il m’expose son observation après que je lui aie fait part de la mienne : dans un commerce, je suis allée à la salle de bain et au-dessus de la toilette, une affiche disait : « Si tu n’es pas capable de pisser debout sans éclabousser, pisse assis, comme la femme que tu es ».
À l’inverse, pour une lesbienne, on lui dira qu’elle est masculine, que c’est un « butch ».
D’ailleurs, Samuel remarque cette pression chez les lesbiennes : « Elles se font juger par leur communauté si elles sont trop féminines et si elles sont trop masculines ». Et chez les homosexuels? « Il y a un genre de compétition : on veut être le plus beau, on veut être « plus » que celui qu’on veut séduire ».
Pression, dites-vous? Mais cette pression-là est aussi là chez les hétérosexuels. Seulement, elle se présente différemment.
Et moi, dans tout ça? Je trouve ça triste à mourir qu’à notre époque, une personne n’ait pas la liberté d’être complètement qui elle est. Qu’elle ne s’en sente pas le droit, du moins. Parce qu’on juge, qu’on place dans des carcans, des catégories pour organiser l’information, pour se rassurer sur nos connaissances, notre compréhension qui est, sommes toutes, bien limitée.
Je suis déçue de constater qu’on a peur à ce point de la « différence ». Parce que lorsque je parle à Samuel, je n’en vois pas, de différences. Je vois un gars de 28 ans, journaliste, passionné, intense, sensible, vrai, confiant, amoureux de la vie, du chocolat, de la littérature et de mille autres choses, talentueux et j’en passe.
Il est, comme vous, comme moi, un être humain à part entière. Dommage que certains ne puissent aller au-delà de leur incompréhension initiale pour découvrir la belle personne qu’il est.