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L’acceptation ou l’art de « faire avec »

Apprendre que son enfant éprouve des difficultés particulières, c’est une chose. Apprendre que son enfant n’est pas « normal », c’en est une autre. Mais, après le moment où les soupçons nous titillent les neurones du cerveau et où on se fait confirmer que, effectivement, il y a quelque chose qui cloche, il y a l’acceptation. Ou, comme Sylvie l’appelle, « apprendre à faire avec ».

Sylvie a « mal réagit sur le coup » car elle était convaincue que sa fille, sa Samantha, n’était pas autiste. Elle s’est mise à pleurer devant l’équipe multidisciplinaire qui venait de lui confirmer que ça n’allait pas. Que sa fille, même si elle n’était pas vrrrraiment « anormale », n’était tout de même pas suuuuuper « normale ».

Son conjoint, son amoureux, le père de ses enfants, Marc, avait de la peine de voir sa conjointe, son amoureuse, la mère de ses enfants, ainsi, dans tous ses états. Car pour Sylvie, il y avait le choc de la nouvelle, mais le deuil, aussi, d’un futur imaginé qui n’aurait pas lieu. Ou du moins, pas en tout point.

Puis, les inquiétudes ont commencé à lui rendre visite la nuit, puis au réveil, puis pendant l’heure du lunch, puis souvent, puis tout le temps. « Oh mon Dieu, faut pas que je meurs », qu’elle se disait. « Je ne suis pas psychoéducatrice, moi! Je ne sais pas quoi faire! À quoi va ressembler son avenir? Va-t-elle être autonome un jour? », qu’elle se répétait.

Ceci a entraîné une multitude de prises de consciences que les parents d’enfants « normaux » (ou typiques) ne se posent pas nécessairement. Quoi qu’ils y pensent peut-être; les doutes effleurent leurs esprits et trois petits tours et puis s’en vont. Mais les mamans comme Sylvie, elles pensent qu’elles doivent être éternelles. Qu’elles ne peuvent pas mourir avant leurs enfants parce si non, qu’adviendra-t-il d’eux? Qui s’en occupera? Et cette personne, est-ce qu’elle s’en occupera bien? Comme moi je m’en occupais? Comme moi je m’en occuperais, si j’étais éternelle?

« Dans la vraie vie, je suis supposée mourir avant elle. Mais y’en est pas question », que Sylvie s’est dit, et redit. C’est à partir de ce moment qu’elle est « devenue une warrior ». Une battante. Ça, je le savais. Ça, je l’avais vu en elle, lors de notre première rencontre. Je l’avais entendu dans sa voix, lors de notre première conversation téléphonique. Je l’avais vu dans ses yeux, quand elle m’a ouvert la porte de chez elle.

Mais une warrior aussi, ça pleure. Et Sylvie, elle a pleuré longtemps. La travailleuse sociale qui venait à la maison reflétait à Sylvie qu’elle était en détresse; ce à quoi elle lui répondait qu’elle était capable d’en prendre, mais qu’elle voulait des foutus services pour sa fille. « J’ai besoin que vous me disiez comment aider ma fille ». Puis, une fois que le réseau de soutien a été mis en place, c’est-à-dire à l’école, les rendez-vous avec la psychologue, les rencontres avec l’orthophoniste, ça allait.

Et, il a fallu en parler à Jessica, la grande sœur de Samantha. Lui annoncer que sa petite sœur, elle n’est pas pareil comme les autres petites sœurs. Jessica s’est dit qu’il fallait qu’elle apprenne à vivre avec ça, à l’accepter. Mais aussi, elle s’inquiétait du fait qu’elle allait faire rire d’elle à l’école, ou quand ses amis allaient venir à la maison. Mais comme lui explique sa mère, ça ne change rien : c’est toujours Samantha, la même qu’ils connaissent depuis sa naissance. Et notre warrior nationale, de bien vouloir équiper sa fille, lui suggère de présenter les choses ainsi : « Ma sœur est différent, faut parfois ne pas porter attention à ses comportements. Oui, elle est spéciale, mais c’est ma sœur ». Good job, maman.

Tout comme Jessica, et comme la grande majorité de la population mondiale, il me semble, Sylvie a le désir de se sentir acceptée par les autres; de ne pas se faire juger. Elle veut qu’elle et sa famille ait l’air normales. Elle ne veut pas que sa fille se fasse « regarder croche », ni entendre de chuchotement derrière eux au centre d’achats, ou au restaurant. À cet effet, Sylvie constate que sur cet aspect, c’est plus facile avec Mocco, leur chien Mira; « les gens nous demandent si on est une famille d’accueil. Alors, on prend le temps de leur expliquer que non puis, on leur explique le programme. Le fait d’avoir Mocco change le point d’intérêt; les gens arrêtent de regarder Sam pour le regarder, lui. Puis, ça me rend plus à l’aise; le premier contact avec les autres est fait. Je sens donc moins de jugements de la part d’autrui, ce qui diminuent la pression de 90% ».

Puis, selon Sylvie, tout est une question de perception; lorsque Samantha avait six ou sept ans, ils se rendent au cinéma en famille. Tous aperçoivent la chaise roulante plus loin, et un papa avec sa fille dans les bras. Elle SAIT que Samantha va aller poser des questions. Merde. « Je voulais mourir! ». Puis, Samantha va effectivement voir le papa et lui dit : « Ah! Ta p’tite fille, a marche pas? Elle a mal à ses jambes? ». Le père lui répond qu’elle est atteinte de paralysie cérébrale et qu’elle a besoin de sa chaise roulante pour l’aider à se déplacer. Alors, Samantha lui raconte sa vie, en lui disant qu’elle est autiste et tout le tralala puis, regarde la petite fille et lui demande son nom. La petite ne répond pas. Samantha, de demander au papa : « Elle parle pas, ta fille? ». Et le monsieur de lui répondre que oui, mais qu’il faut lui laisser du temps, car c’est plus long pour elle. Puis, la petite répond. Et Sam lui dit alors : « Moi, je m’appelle Samantha. Veux-tu être mon amie? ». La petite fille s’est mise à rire et à acquiescer avec énergie. Quel beau moment ! Et c’est à ce moment précis que Sylvie a réalisé la grande leçon de vie que sa fille venait de lui apprendre;  « Nous-mêmes, étant parents d’une enfant différente, étions prêt à contourner la jeune fille pour éviter un malaise, comme si de rien n’était, alors que les gens avec un handicap veulent être acceptés tel qu’ils sont, avec leurs différences et non que la société fasse comme s’ils étaient comme tout le monde. Samantha a clairement démontré à sa nouvelle amie qu’elle voyait sa différence mais que ce n’était pas grave, qu’elle l’acceptait comme ça. ». C’est ce que Sylvie souhaite pour sa fille. Qu’elle soit acceptée avec ses différences même si parfois elles dérangent. Parce que Samantha, elle ne veut pas qu’on la voit comme les autres. Elle veut qu’on la voir comme elle est.

Et elle est déterminée, Sam. Et elle est rendue à un âge où elle commence à voir qu’elle est différente des autres, même si c’est embryonnaire. Par exemple, ça lui arrive de dire à sa mère : « Hey, ils sont bizarres les bonhommes à la télé. Moi, est-ce que je suis bizarre? ». Mais, c’est quoi être bizarre? C’est être autiste? C’est avoir de grandes oreilles? Avoir un surplus de poids? Avoir des grosses lunettes? Des broches? Des bras trop longs?

La situation familiale de Sylvie lui a permis d’évoluer; ça lui permet de parler avec d’autres mamans et son rôle d’éducatrice lui fait du bien. Sa plus vieille, Jessica, est rendue à la polyvalente. Et parce que sa sœur est autiste, elle a pu, à partir de secondaire 1, faire du bénévolat avec des ados TED. Alors que, généralement, les étudiants doivent être un peu plus vieux pour avoir accès à cette tâche, accomplie dans le cadre du service communautaire qu’ils ont à faire à chaque année scolaire.

« Tout est une question de perception. C’est poche quand il pleut, parce qu’il fait plus noir. Mais en même temps, c’est grâce à ça que les fleurs poussent ».

Puis, Sylvie se fait philosophe en constatant que la vie fait toujours son chemin; elle et sa famille viennent de Montréal; ils ont décidé de déménager à Mirabel, pour le coin, parce que c’est beau et finalement, elle s’aperçoit que c’est l’endroit où la commission scolaire est considérée comme la meilleure pour les services aux enfants ayant des besoins particuliers, comme Samantha. Et que, la journée où elle a appris le diagnostic de sa fille, une collègue l’appelle au travail; elle lui suggère d’aller voir une psychologue, qui va pouvoir valider le diagnostic et lui donner des moyens de « faire avec » au jour le jour. Alors que Sylvie vient d’une famille où aller voir un psy, c’est menaçant. Où on pense que les psys vont t’enlever tes enfants si tu ne fais pas bien ta job de parents. Finalement, c’est cet appel téléphonique qui l’a convaincue de consulter une psy pour sa fille, en séances familiales. Belle coïncidence!

Samantha a eu son diagnostic à quatre ans et demi; elle en a maintenant 10. Mais, peu importe le temps qui passe, ça ne s’accepte pas; « on apprend à vivre avec. Le jour où on va l’accepter, elle va arrêter de progresser. On ne veut pas se résigner à excuser certains comportements qui seraient répréhensibles chez un enfant dit normal, juste parce que notre petite Sam est autiste. Il faut repousser ses limites quand on sent que ça peut se faire. Sam était dérangée par le bruit et maintenant, elle vient avec nous au Centre Bell, au cinéma, au restaurant, etc., et elle est heureuse, parce que nous n’avons pas baissé les bras ».

« Si je n’avais pas eu Sam, je ne serais pas la femme que je suis ».

-Stéphanie Deslauriers