J’ai rencontré Kim alors que j’étais animatrice en autisme dans un organisme communautaire de la Rive Sud de Montréal. Je me rappelle encore de la première fois où nous nous sommes parlées; elle venait chercher son fils à la fin de la journée. Son fils et moi sortions de la piscine et étions en route vers le parc. Et elle sortait de sa voiture; sa longue chevelure noire de jais flottait au gré du vent. Elle s’est retournée, son visage s’est littéralement illuminée d’un sourire lorsqu’elle a aperçu son fils, fatigué mais heureux de sa longue journée.
Autant elle dit avoir vu quelque chose de spécial en moi, de différent, autant je crois que c’est moi qui ait vu cela en elle. Et comme ça, nous avons commencé à parler. De son fils, certes, mais de l’autisme, de mon parcours académique et professionnel, de ma vie et puis, de la vie. Et je ne sais trop comment, mais nous sommes restées en contact par la suite.
Alors que j’allais garder ses deux garçons, elle m’invitait à coucher, après que nous ayons parlé des heures durant, à son retour en fin de soirée. Et le lendemain, elle me préparait mon dîner, avant d’aller me porter au travail. Quand même. Qui refuserait une carrière en gardiennage après s’être fait traitée de la sorte!
Et Kim a, depuis que nous nous connaissons, toujours été intriguée par la générosité des gens qui travaillent auprès des enfants comme son fils (et par « comme son fils », j’entends « des gens différents, qui ont des besoins particuliers »).
Mais elle ne réalise pas sa propre générosité…
J’en ai rencontré, des parents d’enfants autistes. Pas loin d’une centaine. Et laissez-moi vous dire qu’ils ne sont pas tous comme elle, ni comme Sylvie, cette maman que j’ai rencontré dans le cadre de mon projet de mémoire à la Fondation Mira.
L’an dernier, mes collègues et moi avions à réaliser un outil de mesure dans le cadre d’un cours universitaire. Et cet outil pouvait mesurer tout ce que nous voulions! Nous avons donc choisi de « mesurer » le bonheur, la qualité de vie des mamans d’enfants autistes. Et Kim a, sans grande surprise, accepté de se prêter au jeu. Après avoir fait nos analyses statistiques, les résultats qui en ressortaient, grosso modo, étaient que les mamans qui prenaient du temps pour elles, qui accordaient une importante particulière à leur propre bonheur, en tant que femmes et épouses, étaient plus heureuses! Et qu’une maman plus heureuse permet des relations avec ses enfants plus harmonieuses, satisfaisantes et agréables pour les deux parties!
Et plus tard, alors que nous parlions de tout et de rien, puis de tout, à nouveau, Kim m’a confié qu’après l’annonce du diagnostic de son fils, elle et son mari se sont assis, ayant en main le programme de leur théâtre favori, afin de s’y abonner. « Ainsi, on était obligé de faire quelque chose, de sortir, de penser à nous ». Et elle a dit à son mari : « Tant que toi et moi ça va, ça ira avec les enfants ».
Et elle avait raison. Et ça, je le dis plus que souvent aux parents des enfants que je vois en suivi : « Tant que vous allez bien, en tant qu’individu et que conjoint, votre famille ira bien. Vous êtes les piliers de votre famille. Si vous vous écroulez, tout le monde vous suit dans votre chute. Mais si vous allez bien, tout le monde vous suit aussi ».
Et tout ceci concorde avec une conférence de la Dre en travail social Brene Brown, sur le site TEDx; sa présentation portait sur le pouvoir de la vulnérabilité. Les grandes lignes de sa présentation sont celles-ci :
“Le courage d’être imparfait
La compassion envers soi en premier lieu
La connexion authentique avec autrui
La beauté de la vulnérabilité”
-Brene Brown, traduction libre
Donc, ce serait d’affirmer qu’un être généreux est quelqu’un qui l’est avant tout envers soi-même. Et qu’ainsi, cet être peut mieux s’ouvrir aux autres, se tourner vers ceux-ci, afin d’être généreux envers eux. Ne sommes-nous pas en train de déconstruire le concept de « l’égoïsme »? Ainsi, pour arriver à être altruiste, il faut savoir être égoïste en premier lieu? Enfin.
Et lorsque je complimente Kim et son mari sur leur façon d’élever leurs fils, elle me répond qu’ils n’y sont pour rien. Qu’ils n’ont fait qu’être les guides de leurs enfants, comme le sont les tuteurs pour les plantes. Et moi, de lui rétorquer qu’un tuteur permet aux plantes de pousser plus haut, plus grand, plus fort, de chercher la lumière et que ce ne sont pas toutes les plantes qui en bénéficient. Et que non seulement elle et son mari ont été les tuteurs de ces deux magnifiques plantes, mais ils les ont arrosés, même quand l’eau se faisait rare, qu’ils leur ont donné de l’engrais, même lorsqu’il se faisait plus cher, ou plus loin. Et qu’ils leur ont offert la lumière, même en temps de pluies diluviennes.
Et Kim m’avait déjà écrit, à une occasion quelconque, qu’elle avait appris, avec et grâce à son fils autiste, à ne pas attendre un deuxième sourire lorsqu’il lui en offre un. Mais de le savourer, tout simplement. Et elle m’avait fortement recommandé de vivre LA vie, pour tous ceux qui, comme son garçon, ne peuvent vivre que leur vie. Et elle me répète souvent de me dépasser, de croire en moi, d’aller plus haut, plus loin, car si non, « it would be a waste ».
Des parents comme elle, il n’y en a pas des tonnes. Et des parents comme elle ne réalisent pas qui ils sont et à quel point ils le sont.
Parce qu’avant d’être auteure, elle a été chef, avocate, traductrice mais surtout, une maman extraordinaire qui donne envie de croire encore, qui donne espoir, qui réchauffe le cœur juste à l’idée que des enfants puissent avoir une mère comme elle et qu’ainsi, le monde n’est pas qu’échecs et déceptions, comme il m’est arrivé de le croire, et comme il m’arrivera sans doute de le croire à nouveau.
Alors, que vous soyez mamans ou papas, soyez heureux. C’est la meilleure façon d’avoir une famille heureuse et des enfants qui « poussent » bien.
-Stéphanie Deslauriers